Le petit travailleur / The Little Labourer

(English below)

« La Hiérarchie du stationnement »

La hiérarchie, tout comme le statut, peut être aussi subtile dans ses manifestations que ses effets sont puissants. Un exemple que mentionne Morin est celui où l’on est tenu de stationner son véhicule, dans un lieu de travail. Elle constate que la plupart du temps, les employés des secteurs plus techniques ou dont le métier est plutôt manuel ont souvent à marcher une plus longue distance de leur voiture vers leur lieu de travail que les cols blancs. Cette métaphore évoque certes la hiérarchie socio-économique, mais, plus spécifiquement, elle provoque une réflexion sur la valeur ainsi que la visibilité du travail manuel. Certainement, à une époque où la technologie rend caduques de nombreuses professions ; et particulièrement alors que l’éducation n’a jamais auparavant dans l’histoire été aussi répandue. Une conséquence notable d’être ouvrier (surtout lorsqu’il ne s’agit pas des suites de l’autodétermination, mais d’un manque de diplômes) est l’invisibilité réductrice et l’abstraction de l’individu en simple fonction de son gagne-pain. Dans Le petit travailleur, Catherine Morin explore la maigre valeur accordée au travail manuel en termes de statut, à la fois économique et social. 

Dans l’histoire de l’art, le thème du travailleur n’est pas nouveau. On songe aisément à d’innombrables exemples — surtout après Marx — des réalistes français (tels Jean-François Millet et Gustave Courbet) et de leur rupture avec la tradition dans leur représentation des figures prolétaires, aux monstres sacrés du muralisme mexicain et leurs personnifications grandioses postrévolutionnaires, promues par l’état à travers le pays, parmi tant d’autres exemples. 

Cela étant, la question du travail n’a jamais été aussi absorbante qu’au vingt et unième siècle et pourtant, devenue une redite un peu creuse, n’intéresse pas le monde de l’art comme avant. Si à l’époque prémoderne, le travail manuel pouvait être représenté comme un châtiment divin, comme la suite fataliste de la caste, il a éventuellement évolué en un motif de pouvoir et de mouvance à travers la productivité, à l’époque moderne. La représentation du travail a permis à l’artiste de symboliser de façon plutôt romantique l’âpre tâche de bâtir la nation, nourrir le peuple, etc. en tant que vertu altruiste.

Les travailleurs de Catherine Morin sont de flamboyants et dynamiques colosses dont les corps semblent être constitués de membres disparates. Ils semblent se mouvoir avec aise, grâce et puissance. Relevant plutôt des dieux qu’autre chose, ils semblent composés d’argile. Et pourtant, la maladresse tubéreuse de leurs protubérances trahit un certain sentiment d’infériorité ou d’insuffisance ; leurs visages frappants de détail, souriants, révèlent les traces d’efforts douloureux. Lorsqu’ils ne sont pas représentés au repos, béats, la tension entre leurs statures imposantes et le dur labeur auquel ils s’adonnent — coupant ou cordant du bois, ratissant, cueillant des pommes, plantant ou récoltant des choux — suggèrent la nuance et le paradoxe. 

Bien que colorés et texturés, les laboureurs de Morin sont loin d’être abstraits ou instrumentalisés. Comme bon nombre de ses tableaux, les pièces composant la série du petit travailleur sont élégamment aporétiques. Dans ces portraits ingénieux et pluridimensionnels se trouvent des présentations superbement complexes des façons dont le corps et les structures sociales forment nos perceptions des autres. Surtout, ils transmettent de manière très convaincante les façons dont nous pouvons nous y sentir. 

— F.P.

 

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“Parking Lot Hierarchy”

Hierarchy and status can be as subtle in their displays as they are powerful in their effects. One example noted by Morin is that of ‘parking lot hierarchy’: where one parks their car at a given place of work. She notes that, more often than not, those who work labouring jobs have to walk a further distance from their car to the workplace than those who occupy white-collar positions. This metaphor elicits matters not only of socio-economic echeloning: more specifically, it prompts reflection on the value and visibility of manual labour. Certainly, at a time when technology is rendering obsolete so many professions, skilled or not; and especially at a time in history when education has never been so widespread, a consequence of being a manual labourer, especially when it is not borne of a self-fashioning decision, but a lack of credentials, is the belittling invisibility and abstraction of the individual based on their livelihood. In Le petit travailleur, Catherine Morin explores the scant value attributed to manual labour in terms of status, both economic and social. 

This art-historical theme isn’t new – one may readily think of myriad examples – particularly post-Marx – from the French Realists’ (such as Jean-François Millet and Gustave Courbet) break with tradition in representing proletarian figures, to the celebrated Mexican muralists' post-revolutionary, state-sponsored, grandiose depictions of the working class across the country, among so many other instances. 

The question of labour, however, has never been so consuming as in this 21st century, and yet, having become an empty trope, fails to interest the art world as it once has. If in pre-modern times, labour could have been presented as a divine punishment, the fatality of caste, in modern times it eventually evolved into a motif of power and catalyst for change through productivity. The latter representations of labour allowed the artist to symbolize a rather romanticized notion of selfless virtue in the onerous task of building the nation, feeding the people, etc.

Catherine Morin’s labourers are flamboyant, dynamic colossi whose bodies seem to be made up of assorted limbs. They move powerfully, gracefully, and with ease. More like gods than anything, they seem to have been made of clay. And yet, the awkward tuberousness of their appendages betrays a certain sense of inadequacy or inferiority; their striking, smiling faces reveal signs of painful effort. When they are not portrayed, beatific, at rest, the tension between their imposing statures and the taxing labour they seem to be doing – chopping or collecting wood, raking, picking apples, planting or harvesting cabbages – suggests nuance and paradox. 

As prismatic and painterly as Morin’s labourers are presented to be, they are far from abstracted or instrumentalized. Like many of her paintings, the pieces comprising The Little Labourer are elegantly aporic. In these ingeniously multifaceted portraits lay beautifully complex presentations of how the body and social structures shape our views about others, and most importantly, compellingly conveys how we may feel within them. 

— F.P.